An de Grâce Mil Cent Soixante et Onze, Castel de Schwyz, Chambre de Louarn, Duc de Schwyz.
C'était un régnant morose, amaigri et quelque peu affaibli qui était assis sur son siège en bois massif (car, même amaigrin il fallait bien supporter les quelques dizaines de livres de Louarn), contemplant un perroquet aux couleurs vives, qui sussurait quelque chose comme "Ciel mes bijoux" à intervalles réguliers.
Il y a peu, le pétulant Duc n'aurait pas supporté les jacassements du volatile plus de quelques minutes et l'aurait occis sans sourciller. Mais à ce moment, il se contentait de le regarder, en poussant de temps à autre quelque soupir....l'ultime pied de nez de son frère, parti trop tôt, et le laissant seul, désemparé.
Souvenirs....quelques mois plus tôt, décembre 1170
Le bruit du vent d'hiver qui harcèle le castel se mêle au souffle rauque de Jungomarch, frère cadet du Duc de Schwyz, diplomate, confident, régulateur de l'humeur ducale. La face terreuse du malade, allongé en son lit ne laisse aucun doute. Avant que l'aube ne vienne, Jungo sera passé de l'Autre Côté. Un peu en retrait, son épouse, tête baissé, récitant une prière en son doux dialecte italien.
Le mourant prend la parole.
Louarn, peux tu me promettre une chose ?
Tout ce que tu veux, mon frère
La dernière volonté d'un mourant, c'est sacré
Prends soin de mon épouse. Ramène là saine et sauve à sa famille si elle le souhaite. Et puis....
Sa voix faiblit, et Louarn doit se pencher pour entendre ce que dit son frère
...je te demande de prendre soin de ce que j'ai de plus précieux après mon épouse. C'est un de ses présents, et je veux qu'il te revienne quand je ne serai plus. Me le promets tu ?
Je te le promets, répondit Louarn, sans trop savoir de quoi Jungo parlait
Merci, mon frère. N'oublie pas...n'oublies pas....des graines...et des fruits....deux fois par jour....
Le duc ouvrit grand les yeux et fixa son frère. Mais il était trop tard. Jungomarch de Belfort avait rejoint l'au delà sur ces dernières paroles, et Louarn se retrouvait l'infortuné propriétaire d'un perroquet, qui était devenu un être sacré, puisqu'incarnation d'une promesse faite à un mourant.
Retour en 1171
Faites mander mon fils Malo.
Quelques instants plus tard, Malo de Belfort, héritier du Duc de Schwyz fit son entrée, saluant silencieusement son père.
Mon fils, j'ai grande nouvelle à vous dire. Je suis vieux, je suis usé, les guerres, les cavalcades, la mort de mon frère, tout cela m'a fort affaibli.
Il regarde son fils
Il est temps à présent que je vous laisse le pouvoir. Malgré nos différends, malgré nos querelles et nos caractères opposés, je vous sais assez intelligent et assez fort pour pouvoir mener le duché. La vieille baderne que je suis, privé des précieux conseils de son frère risque maintenant d'être un poids pour nos terres et nos gens. Il faut savoir se retirer quand il est encore temps, et ne pas s'accrocher au pouvoir comme une vieille moule sur un récif. A ce titre, permettez, mon fils, que je vous félicite de votre patience. Nombreux sont les enfants ingrats qui, voyant leurs parents s'attarder en ce monde, n'hésitent pas à user du poison ou du coutel pour hâter la transmission de l"heritage....ce que vous n'avez point fait, en bon fils que vous êtes.
Adoncques, je puis encore vous aider pour les affaires militaires et diriger l'armée, sous votre commandement, évidemment. Je termine en vous donnant dernier conseil. La première chose que vous devriez faire est de contacter la famille de Como, et particulièrement la fille d'Ewen. Vous savez les liens que nos deux lignées entretiennent. Cette famille est plus qu'une alliée, c'est une amie fidèle de Belfort, et nous devons entretenir cette amitié. Envoyez sans tarder missive à Como pour les informer de votre nouvelle situation, et leur proposer de nous rencontrer à nouveau.
Il me tarde quant à moi de revoir mon vieil ami Ewen. Je pense qu'il a du s'améliorer en lancer de table basse....
Malo ne sourcilla pas à la dernière phrase de son père. Il en avait vu et entendu d'autres. Et il avait beau posséder un cuir épais, une carapace qui le protégeait de toute émotion superflue, il n'en éprouvait pas moins un petit picotement au coin de l'oeil à ouir les paroles du vieux paternel insupportable, certes, mais usé et qui avait fait progresser le Duché de Schwyz comme pas un depuis le fondateur de la lignée....
Ce sera fait, Père...