2 replies to this topic

[nalaf]

Depuis le Haut-Château de Liezen, nouvelle demeure de la famille Vac, siège du double pouvoir ducal, les estafettes ne cessaient d'aller et venir depuis plusieurs semaines. L'accession de la famille cadette des Vac d'Ortenbourg à la dignité ducale était un événement de taille qui suscitait simultanément excitation et nervosité chez les sujets du domaine Vac. Et pour cause, tous connaissaient le caractère impulsif et provocateur des Seigneurs de leur famille suzeraine, et rares étaient ceux qui doutaient qu'un tel événement ne provoquerait pas quelque chose que tous regretterait mais qui amuserait prodigieusement les pitres qui collectaient leurs impôts.

Ehouarn de Vac, petit neveu de Mazheva de Vac, arrière petit neveu de Morgan de Vac, les deux plus grands souverains de sa famille, qui lui même régnait depuis plus de 20 ans sur cette glorieuse famille hongro-germaine allait et venait dans son bureau. Son règne n'avait été qu'une longue période de paix et de prospérité pour ses cités, et cela l'énervait au plus haut point. Élevé dans le récit des exploits militaires de ses prédécesseurs, formés au métier des armes dès son plus jeune âge, disposant d'une des armées les plus puissantes d'Europe, il en était réduit à l'impuissance par le jeu de la diplomatie et de la décadence. D'un geste rageur, il écrasa son poing contre le montant d'une porte - ce qui eut pour effet de la briser - et retint à grand peine un hurlement.

Hof soit maudit !

Depuis des années, ce nom honni entre tous était devenu un juron, à peine plus grossier que celui de Zbaszyn, et les paysans étaient même chaleureusement encouragés à remplacer leurs traditionnels jurons par celui-ci. Grimaçant sous la douleur, il se massa la main tandis qu'un page faisait entrer un messager. Celui-ci, à bout de souffle après sa longue chevauchée de près de 200 lieues accomplie en à peine 3 jours - un exploit - lui tendit sans faiblir son pli, orné du sceau extravagant des Vac d'Ortenbourg, qui compensaient leur jeunesse par l'exubérance de leurs symboles.

Déchirant à moitié la missive par impatience, le duc lut d'une traite le texte, soupira longuement, se massa les yeux de sa main valide, et recommença.

Nous y voila enfin !

Ehouarn se tourna vers le messager et, se saisissant d'une des bourses posée sur une étagère, la remit à son serviteur en le gratifiant d'une accolade virile et complice. Tandis que ce dernier s'éclipsait, il se retourna vers son page. L'oeil étincelant et les épaules rejetées en arrière, il n'avait plus rien à voir avec l'homme bourré de tics d'il y a à peine quelques instants.

Ael, va prévenir le joailler. Je vais avoir besoin d'une nouvelle couronne.

[Ganhael]

Insupportable, il est insupportable !

Les cris de Mikaela, née Székesfehérvar, épouse du chef de la famille des Vac d'Ortenburg, résonnaient dans les couloirs du château sans discontinuer depuis le lever du soleil.

Ne criez pas, mère, il a attendu ce jours depuis si longtemps, il est naturel qu'il...

Le regard du benjamin du couple ducal croisa celui de sa génitrice, et le jeune homme ne trouva pas le courage de terminer sa phrase.

"Naturel" ? Depuis le jour de notre rencontre, votre père n'a cessé de me parler de son souhait de devenir duc. "Je suis né pour atteindre ce but", qu'il me dit depuis trente ans. Et maintenant qu'il est duc de Bavière, il a moins gagné en satisfaction qu'en nouvelles ambitions. Vous êtes au courant de sa dernière lubie ? Rassembler Bavière et Cartinthie sous une même autorité complètement indépendante. Quoique l'autre excité d'Ehouarn lui propose, il s'enthousiasme, il s'excite à n'en plus fermer l'oeil... A croire qu'un Vac d'Ortenburg ne saurait dire non à un Vac !

Deux étages plus haut, le mari atteignait un niveau de décibels à peine inférieur.

Tu te rends compte, mon fils ? Une nouvelle entité, au carrefour entre Germanie, Hongrie-Croatie, Bohême-Moravie et Italie ! Nous serions imbattables, nous serions intouchables. Ce serait l'avènement des Vac d'Ortenburg, le point d'orgue de mon irrésistible ascension !

Face à lui, l'héritier de la famille ne semblait que peu partager l'excitation de son père. Mais ce dernier, en état de quasi transe, ne s'en préoccupait pas. Le fougueux Nevenoe ne s'était pas assagi en vieillissant, et l'âge combiné à la boisson avait encouragé son sens de la démesure. Le récent soixantenaire continuait à marmonner, griffonnant sur la vaste carte du continent étalée devant lui, comme pour convaincre un auditoire invisible. Ses rêves de pouvoir et de prestige étaient enfin comblés, mais il en redemandait, toujours davantage. Beaucoup dans son entourage allaient même jusqu'à affirmer qu'il devenait fou, que ses ambitions avaient empoisonné son esprit tout entier, et qu'elles ne tarderaient pas à triompher de sa santé. Il releva la tête et fixa son fils. Ses yeux étaient animés d'une lueur surnaturelle, l'or perdu des Székesfehérvar, exposé au soleil ibérique, n'aurait pas brillé d'une telle intensité.

Joeva, va prévenir le joailler. Je vais avoir besoin d'une nouvelle couronne.

Le fils contracta la mâchoire. Il s'était douté que cet instant arriverait, mais espérait tout de même y échapper. Il avala péniblement sa salive, soupira longuement par deux fois et, sans quitter le regard paternel, articula :

Père, Ehouarn de Vac a été clair. Il souhaite prendre la tête de l'alliance, et vous êtes duc de Bavière uniquement parce qu'il l'a bien voulu. La couronne que vous me demandez est probablement en train d'être forgée à Liezen, si elle n'est pas déjà dressée sur la tête de son suzerain.

[nalaf]

Ehouarn n'arrivait pas à se remettre de la mort de son fils; Ke, à la fleur de l'âge. 23 ans, fraichement marié, sain de corps et d'esprit, et fauché en pleine apothéose par un sanglier moins prévisible que les autres. Pour la peine, il avait fait exterminer tous les sangliers de son domaine et même les cochons n'avaient pas échappé à ce funeste sort. Vêtu d'une tunique noire froissée et la barbe embroussaillée, sa négligence trahissant son tourment intérieur, le souverain maugréait tandis que le joailler lui présentait les différents modèles qu'il avait confectionnés, son crédit étant illimité pour l'occasion.

- Plus sobre la couronne, peu me chaut les joyaux, c'est suffisamment désagréable à porter comme ça.

- Mais excellence, votre statut exige certains sacrifices...

- Et ta tête, elle veut un sacrifice aussi ?

Et le joailler de se renfrogner sans pour autant oublier la bourse bien dodue qui l'attend. A ce moment là, Paskwiten, le nouvel héritier, entra dans la pièce en tenant un énorme in-octavo sous le bras. Bien que taillé en athlète, son père n'avait jamais vu en lui un véritable soldat, considérant que ce rôle revenait à son frère ainé, tandis que lui devait se contenter de gérer le domaine, l'initiant ainsi à des matières aussi barbantes que l'algèbre et la comptabilité. Ignorant purement et simplement l'artisan, il se dirigea vers le bureau et ouvrit son livre de comptes pour exposer un point à son père.

Père, nos finances n'y suffiront pas ! Le faste de votre cérémonie de couronnement ruinera notre royaume pour plusieurs années. Déjà que la population proteste suite au massacre que vous savez, ils ne supporteront pas de nouvelles restrictions !

Ecartant brutalement le joailler, Ehouarn laissa éclater la colère qui couvait en lui depuis plusieurs semaines !

FoutreHof ! Qu'ils aillent ce faire zbaszyner ces gueux. Nous augmenterons les taxes des polonais et créérons une pénurie de grain, ça devrait suffire. Et au pire, on ira chez les italiens voir si Saint Pierre a autant d'or qu'on le dit.

Se retournant vers le joailler, qui gisait encore au sol, il le releva d'une saccade en l'empoignant par le col et le poussa vers la porte.

Un simple anneau en bronze traversé d'un fil d'or et un joyau suffira. En double exemplaire, j'en ai marre de garder les fardeaux, je vais partager un peu.

Paskweten soupira ostensiblement.

Mais père, ce ne sont plus vraiment nos parents, est ce raisonnable ?

Son géniteur le foudroya du regard.

La dernière fois que j'ai été raisonnable, j'ai écouté ta mère et t'ai laissé la vie sauve. Depuis j'ai arrêté, c'est mauvais pour mon royaume.

Et il quitta la pièce en claquant la porte, laissant les deux autres se regarder d'un air bête.