"C'est pas possible ça !"
Le calme... Une simple phrase et voilà qu'il se brisait comme du verre tombant sur un rocher.
- Il n'y a donc rien à foutre ici ?
L'ennui... Voilà ce qui arrive lorsque le calme prend trop de place. Il n'en faut pas beaucoup, surtout pour le Seigneur de Shrewsbury. Le Seigneur commençait à s'impatienter, et la région semblait d'être aussi calme que ses deux parents... Paix à leurs âmes. Cela ne faisait pas si longtemps que cela qu'il avait hérité de ces terres, trois Seigneuries, plutôt prospères, mais non limitrophes, un vrai casse-tête pour toute la gestion logistique ! Il avait épluché tout ce qu'il avait pu trouvé dans les coffres que détenaient feus ses parents ainsi que tous les traités diplomatiques qu'il pouvait y avoir. Lui n'était pas homme réellement diplomate, pas non plus un affreux jojo prêt à guerroyer à tout va, mais c'est simplement qu'il n'avait aucune finesse dans son parler, ce qui limitait particulièrement sa capacité à entretenir de bonnes relations diplomatiques avec ses voisins. Lui, c'est Andrev de Shrewsbury, quarante deux ans, et propulsé à la tête d'une noble famille d'Angleterre.
- Vous ne devriez point vous mettre dans cet état mon Seigneur, nous pourrions peut être faire quelque chose... Si le coeur vous en dit...
Elle, c'était son épouse. Grâcieuse et de bonne éducation. Elle avait ce qu'il n'avait pas, l'habileté du language. D'ailleurs, il ne saisissait pas toujours les sous entendus ou les propositions à demi mot qu'elle lui lançait de temps à autre. Elle était du genre discrète mais toujours présente non loin de lui, et pourtant il en venait souvent à oublier qu'elle était là. C'était comme si elle était au fil des années, devenue son ombre si bien qu'il ne la remarquait plus lorsqu'il avait la tête ailleurs, mais ne voyait qu'elle dès qu'elle se mettait à parler.
- Vous voulez que l'on... ?
Un sourire qui vint se dessiner sur le visage de sa femme venait de lui faire comprendre que ce n'était pas du tout ce qu'elle avait en tête. Elle se rapprocha de lui en quelques pas, que l'on aurait d'ailleurs eu du mal à percevoir sauf en tendant l'oreille et prêtant toute son attention sur ses pas, jusqu'à s'arrêter face à lui et glisser sa main gantée d'une fine épaisseur de soie brodée, sur sa joue rèche par sa pillosité de trois jours. Ou peut être quatre... Elle ne chercha d'ailleurs même pas à lui répondre directement, son regard dans lequel il avait appris à se noyer, d'un bleu océan magnifique perlé de quelques îlots de verdure près du centre de l'iris, vint chercher le sien et elle reprit la parole aussi simplement qu'elle pouvait le faire.
- J'ai appris de sources sûre que notre voisin le Duc de Galles avait quelques problèmes d'héritiers... Les femmes ne Galles ne semblent pas être les plus fertiles qui puisse exister en ces terres du Royaume d'Angleterre... Nous pourrions peut être...
Et oui, c'était une femme, donc elle ne terminait que rarement ses phrases... Au grand damn d'ailleurs d'Andrev car il avait l'habitude de les continuer mais se trompait dans neuf cas sur dix.
- Ah oui ? Et tu crois qu'on devrait leur envoyer un des marmots du châteaux ? Ce serait une bonne approche pour commencer les relations avec ce Duc non ?
- Ton humour me fera toujours autant rire mon amour...
Bon, ça en traduction, ça veut dire : ce n'est pas du tout ça espèce d'andouille, réfléchis un peu plus et sert toi de ta tête autrement que pour frapper les mécréants qui passent sous ton nez !
- Je pensais plutôt à leur proposer un mariage avec une de nos jeunes femmes... Nous n'en manquons pas et cela pourrait unir les deux familles et ainsi nous porter en bonne position vis à vis de ce Duc... Qu'en pensez vous ?
D'un revers de la main, elle lui désigna une petite table où se trouvait déjà une plume et son ancrier ainsi qu'un rouleau de parchemin vierge, prêt à recevoir les écrits qu'il lui dicterait. Oui ce n'était pas lui qui rédigeait ce genre de document, mais son épouse. Il lui laissait bien volontiers cette tâche, non seulement il écrivait aussi bien qu'un manchot serait doué en patinage artistique, et il peinait la plupart du temps à trouver les bons termes.
- Merveilleuse idée ! C'est exactement ce que j'avais en tête la veille !
Hypocrisie, mauvaise foi, tout ce que vous voudrez, mais pas question de lui montrer ouvertement qu'elle avait raison. D'ailleurs elle le savait pertinemment puisqu'elle avait émis à nouveau ce léger sourire qui la trahissait, vous savez, celui qui ne fait que tendre légèrement les commissures des lèvres ! Mais elle ne releva pas ce qu'il venait de dire et le quitta, se retournant prestemment alors que ses pans de jupons venaient virevolter et effleurer de ce fait ses propres jambes, allant s'asseoir derrière ce bureau qu'elle avait préalablement préparé. Prenant la plume, elle porta son regard sur lui et attendit qu'il lui dicte. Toussotant alors une ou deux fois comme pour s'éclaircir la voix, il entâma la dictée de cette manière, bombant le torse presque inconsciemment.
- Au Duc de Galles. Le Seigneur de Shrewsbury vous envoie une femme jeune, belle et vierge à marier à l'un de vos proches afin de pallier à vos femmes desséchées et décrépies incapables de vous offrir un héritier. Vous pourrez constater par vous même que notre lignée est des plus fécondes. Par ce mariage nous espérons mettre en place une alliance durable entre nos deux familles. Que Dieu garde votre famille. Le Seigneur de Shrewsbury.
Et voilà ce qu'elle avait écrit... :
"Au Duc de Galles.
Par la présente, nous Andrev de Shrewsbury, Seigneur de Shrewbury, de Denbigh et de Aberystwyth, prenons la plume pour vous exprimer nos plus sincères hommages.
Ayant eu vent récemment de quelques difficultés que rencontre votre noble lignée, nous souhaitons apporter tout notre soutien à votre famille.
De ce fait, nous nous permettons de vous proposer d'unir nos deux familles par le mariage. Vous aurez ainsi la possibilité de choisir parmi de nombreuses jeunes femmes de notre famille de bonne éducation et aux bonnes moeurs à unir à l'un des représentants masculins de votre Maison. Nous sommes également enclin à nous engager sur une dote.
Ce traité de mariage qui au plaisir de Dieu pourra être fait et célébré en face de l'église Catholique de l'une de vos Seigneuries de votre choix.
Votre très dévoué correspondant,
Andrev of Shrewsbury, Seigneur de Shrewsbury"
Le pli terminé, le Seigneur ne se donna pas la peine de le relire, de toute façon il savait qu'elle n'écrivait pas littéralement ce qu'il lui dictait mais qu'elle le transposait à sa manière. Il avait pleinement confiance en sa femme et même si parfois il pouvait s'irriter de son comportement, pour rien au monde il ne la changerait. Elle remit ce message scellé des armes de sa Maison, puis appela un messager à qui elle lui remit toutes les indications à transmettre avant de revenir dans le grand bureau où le feu crépitait encore dans la vaste cheminée. Elle le rejoint alors, satisfaite du travail accompli, puis se posa debout face à lui, presque inerte, le regardant avec un calme et une sérénité presque déconcertante.
- Et si nous mettions en pratique votre proposition première cher époux ?
Bon, là il ne lui fallut pas grand temps pour saisir ce qu'elle lui proposait, et il ne se fit pas prier. Vous comprendrez alors aisément pourquoi la Maison de Shrewsbury prospérait depuis de longues années... Et vous comprendrez aussi que la suite se passera de détails.