Frêle et pâle. 20 ans tout au plus. Pas un voile sur le visage, ni sur le corps. Nue. Elle monta sur l'estrade et alla se positionner contre le poteau. Seule. La mine déterminée. D'aucun pourrait lire qu'elle était satisfaite. Ce n'est qu'une fois arrivée qu'un garde l'entrava à l'aide d'une simple corde lui liant les mains.
Etre sacrifiée au Dieu était l'honneur le plus suprême.
La populace s'était assemblée autour de la place. Ifig, grand prêtre rouge de Dubovac, leva le bras droit pour faire taire le peuple.
Dieu tout puissant, il murmura son nom, accepte le présent que nous t'offrons. Accepte en ton sein cette jeune vierge. Que tes flammes l'ensevelissent et la fasse accéder à l'autre-monde. Qu'en retour, tu nous accordes le pouvoir et la force pour venir à bout de nos ennemis.
A cet instant, des flammes timides surgirent d'en-dessous. Le prêtre rouge sorti un ouvrage et en lu un passage.
Victoria, Hortensia et Agnes n'avaient pas du tout les mêmes centres d'intérêt. La première rêvait d'embrasser le cursus, bien que ce ne lui soit pas permis, étant une femme. La seconde voyait dans les plantes autre chose qu'un simple objet décoratif. Enfin, Agnès n'avait pas de passion particulière, ni de trait distinctif. Des trois, c'était celle qui avait la personnalité la plus effacée. Et moche : Agnès n'avait rien pour elle.
Rome, elles en rêvaient. A raison. Leur habitat était un campement romain de deux hectares connu sous le nom de wreay. Situé à 30 lieues du mur, les installations étaient sommaires. Leur père, le centurion Hastatu posterior de la legio II Augusta , commandait le fort avancé. Le climat était rude et n'étant pas autochtones, les Romains se réfugièrent volontiers dans les histoires sur la lointaine Rome pour se donner courage et affronter l'hiver.
Tandis qu'une partie des effectifs était occupée à construire le mur et à y transporter les pierres, les sœurs s'amusaient dans les bois environnants. De toute façon, tout le monde se fichait de leur sort. Il n'y avait ni ville, ni peuplement d'importance dans la région. Elles finiraient mariées dès leur maturité sexuelle, engendreraient une descendance et éduqueront les enfants qu'elles auront avec le pater familias. Leurs envies, espoirs, rêves et autres folies de femmes pas encore dépucelées ne resteraient que chimères.
Il bruimait, comme toujours dans ce pays. Tout à coup, Agnes vint bousculer Hortensia en lui pointant du doigt la clairière.
- Qui est-ce ?
- On dirait des nains ! S'écria Hortensia
- Taisez-vous, sottes que vous êtes ! L'aînée avait parlé. Baissez-vous !
Des nains ? Peut-être. En tout cas, de nombreux nains . Une meute ? Visiblement. Mais une meute véloce. Les « nains » approchèrent par dizaines des fortifications du camp quand le cor retentit. Les portes se fermèrent mais il y avait un écueil de taille. Les nains étaient sortis de la forêt en masse. C'était comme si une légion entière de ces semi-hommes assiégeait le camp romain...dégarni. De surcroît, les remparts étaient en bois et de faible hauteur. Les nains ne mirent pas longtemps à se tailler un passage et à investir le camp.
- Qu'est-ce qu'on fait ? Demanda la moche.
- Ils vont massacrer tout le monde les nains ? Et il y a maman à l'intérieur !
- Du calme, Hortensia. Victoria était la plus âgée des trois. C'était une pragmatique. On ne peut rien faire là, il faut aller prévenir père qui est sur le mur.
- Et Mère ? On lisait de l'émotion sur le visage de la moche.
Un instant de silence. Victoria, qui ne portait pas sa mère dans son cœur, mais pas du tout, du se contenir devant ses deux sœurs. Elle se contenta d'une brève réponse.
- Elle sait y faire avec les hommes.
Puis se déplaçant accroupies, elles rejoignirent la forêt, se mettant en route vers le mur. Du camp, s'élevait des fumées et des cris atroces retentissaient. Un carnage devait probablement avoir lieu.
Le livre des soeurs vengeresses, I, l'échappée
Le prêtre rouge referma le livre et contempla le bûcher. Les hurlements du camp faisaient échos à ceux de la jeune sacrifiée qui était en train de brûler. Les flammes avaient maintenant embrasé tout le bûcher.
Ifig, par ce présent, accorde-moi le privilège de guider le peuple vers la Vérité. Dote-moi de tes pouvoirs. Permet-moi de lire en toi pour écrire le futur. Accepte cette vierge comme un gage de ma Foi. Par ce présent, je revendique le port de la robe rouge.
Pendant plusieurs minutes, il ne se passa rien. un sourd bruit de verre se fit retentir. Soudain, une explosion retentit au centre du bucher laissant échapper une flamme de près de trois mètres. Le peuple fut pris de stupeur. Tous se tournèrent vers Ifig et s'accroupirent. Les voilà dôtés d'un chef incontestable.